Immersion dans un monde sans argent
par
Et si l’argent disparaissait ?
Ce roman imagine l’avènement d’un monde en rupture avec quatre mille ans d’histoire monétaire et de troc. Loin de caresser une vague utopie, il prend le sujet à bras-le-corps et envisage avec réalisme, sous toutes ses faces, le déploiement d’une société où gratuité, partage et bénévolat induisent de nouveaux paradigmes qui en révèlent toute la cohérence.
Sébastien, mettant en scène avec humour sa vie familiale, son métier dans le webmarketing et sa passion pour le rock, projette son quotidien dans cette ère nouvelle et débusque jusqu’aux changements infimes qui l’impacteraient.
Embarquez pour une histoire étonnante qui remet en question avec sagacité les fondations de notre société et invite à voir autrement nos croyances et nos habitudes de vie…
Extrait du roman de Sébastien Augé.
LIRE LA SUITEPerturbé, je ne touche pas mot de cette conversation à
Bunmi et pars à la réunion de mon village. Je retrouve mes
quatre acolytes qui bossent déjà sur le sujet :
— Toujours à la bourre ! charrie Mirko en me voyant
entrer.
— Désolé.
— Petit rappel pour notre retardataire, reprend Aude, le
thème du jour est relatif au constat numéro 4, à savoir : qui
fera les tâches ingrates ?
— Moi je propose que ce soient les retardataires,
plaisante mon ami en faisant rire la petite assemblée.
Je prends la parole pour retrouver un semblant de
dignité.
— Bon, plus sérieusement, dans un monde sans argent
chacun choisit son travail. Donc bien évidemment les
tâches pénibles resteront à pourvoir.
— C’est pour cela qu’il faudra les partager, annonce la
retraitée dont j’ignore toujours le nom. Quand j’étais
petite, au village il n’y avait pas de cantonnier. Chaque
famille donnait alors des journées pour curer les fossés,
tailler les haies ou les ronces. On appelait ça les
prestations. Et plus grande était sa propriété, plus il fallait
donner des journées à la commune. Il y avait aussi les
corvées de bois ou bien le jour du dépiquage où il fallait
séparer la paille du grain. Personne n’était payé pour cela
bien entendu.
— Oui, c’est normal qu’on partage les tâches et que
l’on s’entraide, poursuis-je. Mirko, toi qui bosses dans
l’emploi, quel est ton avis ?
— J’ai planché sur la question. Il faut savoir que de
nombreux métiers vont disparaître dans un monde sans
argent, dit-il en regardant sa tablette. Par exemple, en
France, 350 000 banquiers devront changer de métier.
Tout comme 150 000 employés dans les assurances.
Autant chez les comptables. On peut rajouter
270 000 caissières qui n’auront plus de travail. Puis
700 000 commerciaux qui n’auront plus lieu d’être. On
vire aussi Sébastien et ses 65 000 collègues qui bossent
dans la pub…
L’assistance, décidément très encline aux taquineries
ce soir, rit encore aux éclats. Je prends soudain conscience,
en faisant une grimace ne me mettant certainement pas en
valeur, que mon métier va disparaître. J’ai un déclic qui
me le fait voir sous un tout nouvel angle. Mon travail n’est
rien d’autre qu’une guerre concurrentielle dans un monde
individualiste. Absorbé dans ces pensées, j’entends au
loin, comme en écho, mon ami qui poursuit ses comptes :
— 280 000 traders, 140 000 employés au ministère de
l’Économie et des Finances… J’en oublie obligatoirement
d’autres tant la liste est longue. Sur les 27 millions de
personnes ayant un emploi en France, au moins 2 millions
d’emplois seront caducs du jour au lendemain dans un
monde sans argent.
— C’est dingue ! s’exclame Aude.
— J’ai pas fini ! Il faut aussi rajouter à toute cette
population démobilisée les actuels 5 millions et demi de
chômeurs ou salariés en activité réduite. Ce qui rend
disponible au moins 7 millions et demi de personnes qui
contribueront aux métiers de première nécessité et j’en
oublie sûrement au passage !
— En gros, conclut Réré qui n’a pas encore pris la
parole mais dont les yeux généralement semi-fermés se
sont écarquillés de chiffre en chiffre, il y a près de
8 millions de personnes qui bossent pour rien ?
— C’est ça, retournez le couteau dans la plaie ! me
plains-je.
— J’adore cette expression ! se réjouit Réré.
— J’ai toujours pas terminé, reprend Mirko. Un nombre
colossal de métiers est lié à la finance. Prenons l’exemple
des avocats. S’ils n’ont plus à défendre les affaires
d’atteinte aux biens ou d’infraction économique et
financière, un tiers d’avocats ne sert strictement plus à
rien. Soit plus de 23 000 emplois libérés. Et dans les TPE
aussi bien que dans les grandes entreprises, tout employé
qui gère des tâches en rapport avec la rentabilité, le
marketing, les devis, les factures, la gestion de prix, la
comptabilité, le prévisionnel financier... n’aura plus qu’à
faire ses cartons. Cela concerne autant le métier de
secrétaire que de directeur.
— Sérieusement, c’est fou ! s’étonne encore Aude.
Autant de sueur, d’intelligence, de talent et d’heures
gâchés par une société capitaliste !
— La France est le pays le plus capitaliste d’Europe, lit
Mirko sur sa tablette. Ça me fait penser qu’il faut aussi
prendre en compte tous ceux qui s’enrichissent en faisant
travailler leur argent et qui, au final, ne produisent
véritablement aucun bien ou service.
Je suis comme pris d’un vertige. Je pousse la porte de
sortie :
— J’ai besoin d’une pause et de prendre l’air !
La nuit est tombée. Le ciel est un rideau ouvert sur le
spectacle étoilé. Les cymbales des cigales et les
croassements des amphibiens mènent le bal nocturne.
L’air chaud danse dans les feuillages des platanes bordant
l’allée menant vers l’église. Je respire profondément,
humant les particules de poussière et le pollen des
herbacées.
— Tout va bien ? demande Aude en posant la main sur
mon épaule.
— Ouais, ça va. Je suis bientôt au chômage mais tout
va bien ! dis-je pour m’efforcer de plaisanter. En plus, je
ne sais vraiment rien faire d’autre que mon job.
— Ne t’en fais pas, un des avantages du monde sans
argent est que le chômage n’existera plus. On sera libre de
choisir son travail, de changer de métier à son bon vouloir,
de se former à volonté. On sera libre d’exploiter tout son
potentiel créatif et on gagnera en compétences. On aura
sûrement mille vies dans une vie ! Et c’est avant tout le
stress lié aux obligations de résultat qui devrait s’évaporer
et changer toute notre existence en même temps que nos
rapports aux autres.
Je reste un instant songeur.
Je viens d'avaler ce livre, très facile à lire, que je pense essentiel pour qui rêve d'une révolution sociétale. Bien souvent la peur de l'inconnu tétanise l'individu face au changement, ce qui le dissuade de réfléchir plus loin à des pistes qui lui rendraient cet inconnu palpable, et qui lui permettrait en premier lieu de rêver un peu, ce qui n'est pas rien, mais pourrait surtout un jour lui permettre de franchir le pas vers la construction d'un nouveau monde. En ce sens, il est très important et enrichissant de nous voir et de réfléchir ensemble, car rêver aujourd'hui, c'est construire demain.
Pour ma part, je suis persuadé depuis longtemps qu'une société sans valorisation : sans argent ni troc, une société d'accès comme elle est nommée ici, est la solution d'avenir. Ce livre nous en fait la démonstration la plus détaillée que j'aie lu jusque là, ponctuée de quelques failles qui pourraient la faire vaciller, allant en ce sens plus loin que mes propres réflexions jusqu'alors. Bien sûr, il faudrait prospecter encore bien plus en avant, évaluer bien d'autres choses qui pourraient subsister et mettre en danger un monde a-monétique, mais si elles ne sont pas abordées ici, c'est sûrement que ça nous rendrait la lecture longue et fastidieuse, alors que le choix de l'auteur est d'avoir fait de ce livre un roman. Un roman d'anticipation nous permettant de bien visualiser l'ensemble des aspects de cette nouvelle société désargentée, autant dans les manières de s'organiser, que dans la démonstration de tous les travers qui disparaitraient dés l'arrêt de la monétisation. L'auteur par contre reste dans un choix de société gouvernée et centralisée, ce qui me pose problème à moi l'anarchiste, qui n'aurai pas pris cette direction (sans jeu de mot) là, mais plutôt celle du communalisme. Malgré cela, alors qu'on sait pertinemment que la machine capitaliste est inarrêtable dans sa destruction de la vie sur la planète, l'auteur nous propose là une organisation cohérente qui nous promet un avenir merveilleux, émancipateur et écologiste.
Comme personne n'a la science infuse, surtout n'oublions pas de rester critiques par nous même et de réfléchir à des solutions locales et globales.Un mouvement propose une réflexion sur un monde a-monétique, c'est Mocica, le grand projet : https://mocica.org/